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LE CORPS PARLANT

Xe Congrès de l’ AMP,

Rio de Janeiro 2016

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a un monde ou que j’ai un corps, c’est une seule et même chose. En ce sens,

mon corps est partout sur le monde. Mon corps est à la fois coextensif au

monde, épandu tout à travers les choses et, à la fois, ramassé en ce seul point

qu’elles indiquent toutes et que je suis sans pouvoir le connaître. Ceci doit nous

permettre de comprendre ce que sont les sens. »

p. 366

Le corps est nécessaire encore comme l’obstacle à dépasser pour être dans le

monde

Avoir un corps, c’est être le fondement de son propre néant et ne pas être le

fondement de son être ; je suis mon corps dans la mesure où je suis ; je ne le suis

pas dans la mesure où je ne suis pas ce que je suis; c’est par ma néantisation que

je lui échappe. Mais je n’en fais pas pour cela un objet : car c’est perpétuellement

à ce que je suis que j’échappe. Et le corps est nécessaire encore comme l’obstacle

à dépasser pour être dans le monde, c’est-à-dire l’obstacle que je suis à moi-

même. »

p. 375

Merleau-Ponty

Merleau-Ponty,

Le visible et l’invisible

(1964), « L’entrelacs – Le

chiasme ». Gallimard, 1979

C’est le corps, et lui seul, qui peut nous mener aux choses mêmes

« L’épaisseur du corps, loin de rivaliser avec celle du monde, est au contraire le

seul moyen que j’ai d’aller au cœur des choses, en me faisant monde et en les

faisant chair.

Le corps interposé n’est pas lui-même chose, matière interstitielle, tissu

conjonctif, mais

sensible pour soi

, ce qui veut dire, non pas cette absurdité :

couleur qui se voit, surface qui se touche – mais ce paradoxe : un ensemble

de couleurs et de surfaces habitées par un toucher, une vision, donc

sensible

exemplaire

, qui offre à celui qui l’habite et le sent de quoi sentir tout ce qui

au-dehors lui ressemble, de sorte que, pris dans le tissu des choses, il le tire

tout à lui, l’incorpore, et, du même mouvement, communique aux choses sur

lesquelles il se ferme cette identité sans superposition, cette différence sans

contradiction, cet écart du dedans et du dehors, qui constituent son secret

natal. Le corps nous unit directement aux choses par sa propre ontogenèse,

en soudant l’une à l’autre les deux ébauches dont il est fait, ses deux lèvres : la

masse sensible qu’il est et la masse du sensible où il naît par ségrégation, et à

laquelle, comme voyant, il reste ouvert. C’est lui, et lui seul, parce qu’il est un

être à deux dimensions, qui peut nous mener aux choses mêmes, qui ne sont pas

elles-mêmes des êtres plats, mais des êtres en profondeur, inaccessibles à un sujet

de survol, ouvertes à celui-là seul, s’il est possible, qui coexiste avec elles dans le

même monde. »

p. 176-177

La double appartenance du corps à l’ordre de l’ « objet » et à l’ordre du

« sujet »

« C’est une question, et nous ne l’éviterons pas, de savoir comment le sentant

sensible peut être aussi pensée. Mais ici, cherchant à former nos premiers

concepts de manière à éviter les impasses classiques, nous n’avons pas à faire

acception des difficultés qu’ils peuvent offrir quand on les confronte avec un

cogito

qui, lui-même, est à revoir. Oui ou non, avons-nous un corps, c’est-à-dire

non pas un objet de pensée permanent, mais une chair qui souffre quand elle

est blessée, des mains qui touchent ? On le sait : des mains ne suffisent pas pour

toucher, mais décider pour cette seule raison que nos mains ne touchent pas,

et les renvoyer au monde des objets ou des instruments, ce serait, acceptant la

bifurcation du sujet et de l’objet, renoncer à comprendre par avance le sensible

et nous priver de ses lumières. Nous disons donc que notre corps est un être

à deux feuillets, d’un côté chose parmi les choses et, par ailleurs, celui qui les

voit et les touche ; nous disons, parce que c’est évident, qu’il réunit en lui ces

deux propriétés, et sa double appartenance à l’ordre de l’ « objet » et à l’ordre du

« sujet » nous dévoile entre les deux ordres des relations très inattendues. »

p. 178

L’esprit – La chair

« Nous ne proposons ici aucune genèse empiriste de la pensée : nous nous

demandons précisément quelle est cette vision centrale qui relie les visions

éparses, ce toucher unique qui gouverne d’un bloc toute la vie tactile de mon

corps, ce

je pense

qui doit pouvoir accompagner toutes nos expériences. Nous

allons vers le centre, nous cherchons à comprendre comment il y a un centre,

en quoi consiste l’unité, nous ne disons pas qu’elle soit somme ou résultat, et si

nous faisons paraître la pensée sur une infrastructure de vision, c’est seulement

en vertu de cette évidence incontestée qu’il faut voir ou sentir de quelque façon

pour penser, que toute pensée de nous connue advient par la chair.

Encore une fois, la chair dont nous parlons n’est pas la matière. Elle est

l’enroulement du visible sur le corps voyant, du tangible sur le corps touchant,

qui est attesté notamment quand le corps se voit, se touche en train de voir et

de toucher les choses, de sorte que, simultanément, comme tangible il descend

parmi elles,

comme

touchant il les domine toutes et tire de lui-même ce rapport,

et même ce double rapport, par déhiscence ou fission de sa masse. »

p. 189

Excursus philosophique sur le corps